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Au Brésil, Lula interdit toute commémoration officielle du 60ᵉ anniversaire du coup d’Etat militaire

« Lamentable et dangereuse ! » Dépitée, Joana D’Arc Fernandes Ferraz ne mâche pas ses mots lorsqu’il s’agit de qualifier l’attitude de Luiz Inacio Lula da Silva. Cette sociologue est pourtant une militante de gauche, membre de l’organisation Tortura nunca mais (« la torture, plus jamais ») qui lutte pour entretenir la mémoire des crimes commis par la dictature militaire brésilienne (1964-1985). Mais les déclarations récentes du président à ce sujet l’ont révulsé. « Comment peut-il tenir un tel discours alors que le Brésil traverse une période si critique ? », s’interroge-t-elle.
Sa colère trouve son origine dans la décision de Lula d’interdire toute commémoration officielle du coup d’Etat survenu il y a soixante ans, les 31 mars et 1er avril 1964 qui conduisit l’armée à renverser le président de gauche Joao Goulart, ouvrant la voie à une dictature de plus de vingt ans. Le chef de l’Etat a défendu aux membres de son gouvernement de s’exprimer publiquement sur le sujet, même s’agissant des victimes de la dictature. Le ministre des droits de l’homme, Silvio Almeida, avait pourtant prévu une campagne de sensibilisation sur ce thème, baptisée « Sans mémoire, il n’y a pas d’avenir ». Elle a été remisée au placard.
« Je ne vais pas continuellement ressasser [le passé] », a tranché Lula le 27 février dans une interview à la chaîne RedeTV !, se disant « davantage préoccupé par le putsch de janvier 2023 », qui a vu des milliers de militants d’extrême droite saccager les institutions de Brasilia, « que par celui de 1964 ». Ce dernier « fait partie de l’histoire, il a déjà causé les souffrances qu’il a causées. Le peuple a déjà conquis le droit de démocratiser ce pays », a-t-il conclu.
Lula ne s’est pas contenté d’interdire les cérémonies officielles. Il a également renoncé à l’idée d’un musée de la mémoire et des droits de l’homme, centré sur la dictature. Il n’a pas non plus rétabli la Commission spéciale pour les morts et disparus politiques, supprimée par son prédécesseur Jair Bolsonaro, ancien capitaine nostalgique de la dictature, qui n’hésitait pas à célébrer le putsch de 1964. Cette mesure faisait pourtant partie des promesses de campagne du président de gauche.
La séquence a provoqué un tollé inhabituel, jusque dans les rangs du Parti des travailleurs (PT), la formation de Lula. « Il n’existe pas d’avenir si on n’apprend pas des leçons du passé », a déclaré Rui Falcao, député et ancien président du Parti des travailleurs. L’historienne Heloisa Starling a dénoncé dans le quotidien Folha de Sao Paulo un « désastre », et le groupe de juristes de gauche Prerrogativas a qualifié d’« inadmissible » tout silence sur les événements de 1964. « Lula conforte ceux, à l’extrême droite, qui souhaiteraient organiser un nouveau coup d’Etat », tonne Joana D’Arc Fernandes Ferraz, de Tortura nunca mais.
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